Jacques Balsan (1868-1956) Pionnier de l’aviation
& vice-président de l’Aéro-Club de France
Par Laurent Albaret
Article paru dans la revue de l'Aéro-Club de France, n°144 (juin 2021).
En 2022, la Commission Histoire, Arts et Lettres fait renaître un prix de la photographie aérienne, prix qui portera le nom de Jacques Balsan qui fut le créateur du concours de la photographie aéronautique au début du XXe siècle. Retour sur les grands moments de la vie mal connue d’un aviateur pionnier de l’aéronautique française.

Louis Jacques Balsan est né le 16 septembre 1868 à Châteauroux dans l’Indre. Il est le fils de Jean Jacques Martin « Auguste » Balsan, maire de Châteauroux de 1836 à 1896 et patriarche d’une famille bien connue dans l’industrie drapière. La famille Balsan a en effet repris la manufacture royale de drap de Châteauroux en 1856 – manufacture créée en 1751 – et s’est spécialisé dans le drap cardé destiné à la confection de tenues de l’administration française ou de l’armée. Elle sera d’ailleurs une des principales manufactures à fournir le drap bleu horizon des poilus de la Grande Guerre. Jacques Balsan, après une enfance heureuse et sans histoire où se révèlent surtout ses qualités sportives, rejoint en 1887 – pour un engagement de cinq ans – le 2e régiment de hussards stationné dans l’actuel ville de Châlons-en-Champagne. S’ensuit une période militaire sans accroc et une libération en 1892 avec le grade de sous-lieutenant. Il rejoint alors l’entreprise familiale et parcourt l’Amérique du Sud, mais aussi l’Australie et l’Asie, afin de retrouver des laines de qualité pour les importer en Europe. Cette envie de grands voyages – il traverse le monde de part en part jusqu’en 1898 – et de découvertes l’amène vers les débuts de l’aérostation et de l’aviation.
Lors de l’Exposition universelle de 1900 et année des Jeux Olympiques, Jacques Balsan, déjà détenteur du brevet n°9 de pilote de ballon libre, participe au concours international d’aérostation à Paris, s’inscrit à douze épreuves sur quatorze et termine 2e derrière le comte Henry de La Vaulx. Le 23 septembre 1900, il réalise avec Louis Godard le record français d’altitude en ballon – avec 8.558 m. à bord du ballon « Le Saint-Louis ». Il tente et détient ensuite un temps le record du monde de distance par ballon – 1.237 km en près de 36 heures à bord du ballon « Le Centaure » entre Châteauroux et la banlieue de Kiev en Russie, accompagné par les comtes de La Vaulx et de Castillon de Saint-Victor. Sa passion pour l’aérostation le fait rejoindre l’Aéro-Club de France naissant, on retrouve son nom dans les co-fondateurs et les premiers membres. Militant, il en devient le vice-président en 1905 – une fonction qu’il occupera jusqu’en 1921, avant de devenir le président d’honneur jusqu’à sa mort. Le 30 septembre 1906, Jacques Balsan, avec son assistant Albert Corot et à bord du ballon « Ville-de-Châteauroux », participe à la première édition de la coupe aéronautique Gordon Bennett. La course voit 17 ballons rejoindre l’arrivée, dont celui de Jacques Balsan qui se classe 6e. En 1905, il lance le « concours de l’Aéro-Club de France de la photographie aéronautique », un moyen de promouvoir l’aérostation et – surtout – l’aviation au travers de la photographie aérienne. Car l’aérostation a eu son heure de gloire chez ce jeune pionnier de l’avenir ; l’aviation va devenir son nouveau terrain de jeu.
En 1904, il a acheté un premier planeur à l’ingénieur Octave Chanute. En 1909, il acquiert son premier avion, un Bleriot XI, identique à celui qui a traversé la Manche avec Louis Blériot. C’est d’ailleurs à l’école paloise de cet aviateur que Jacques Balsan apprend à piloter. Après un premier vol en solo le 17 octobre 1909, il remporte le Prix Robert de Moncin de l’Aéro-Club de France le 12 décembre de la même année, un prix doté d’une somme de 1.000 Francs pour l’auteur d’un vol de 5.000 m. réalisé en circuit fermé : il en parcourra 8.000… un exploit pour l’époque ! C’est donc naturellement que, le 6 janvier 1910, il obtient son brevet de pilote, brevet n°22 délivré par l’Aéro-Club de France. Son engagement dans l’aérien – déjà marqué par son appartenance à l’Aéro-Club de France – devient total, voire frénétique. Jacques Balsan multiplie ses présences sur les meetings aériens comme la Semaine d’aviation de Champagne en 1910, cumule les bons résultats, encourage par ses actions et ses engagements le sport aéronautique ou le tourisme aérien. Il construit ainsi un petit avion pour l’épreuve d’Héliopolis en Égypte, où il gagne plusieurs prix de distance et de vitesse. Cette même année 1910, il contribue à l’essor des sports aéronautiques, en créant l’Association Générale Aéronautique, société populaire de tourisme aérien qui, sous le patronage de l’Aéro-Club de France, deviendra la Ligue Aéronautique de France.
Notre pionnier de l’aviation prend également part à l’histoire du monde. En 1911, on le retrouve capitaine observateur et seul aviateur – il a été versé administrativement dans l’aviation en 1910 – dans la campagne militaire du Maroc, sous les ordres du colonel Gouraud où il teste la capacité de bombardement depuis un aéroplane. Il participe également à des missions militaires aériennes au Maroc en 1913 et 1914, toujours sous les ordres d’Henri Gouraud, devenu général. Affecté à la VIe armée du général Maunoury dès le 2 août 1914, il est capitaine observateur, commandant une compagnie d’aérostiers à la place de Belfort. Sur sa demande, il passe à l’aviation dès septembre 1914 et est affecté comme observateur à la BL 10 sous les ordres du capitaine Zarapof. C’est à ce titre que Jacques Balsan prend part à plusieurs missions en zone ennemie en septembre, et fait probablement partie des aviateurs qui vont signaler les mouvements allemands qui seront brisés à la bataille de la Marne. Conseiller technique à la fin de l’année 1914, pressenti un temps pour prendre le commandement de l’escadrille Lafayette qui se constitue, Jacques Balsan reste à l’arrière, pourtant titulaire du brevet de pilote militaire en juillet 1916. Avec le grade provisoire de lieutenant-colonel, la fin de la Grande Guerre le trouve d’ailleurs est à la tête de la mission française aéronautique à Londres. Titulaire de la médaille coloniale – agrafe Maroc – en 1914, de deux citations à l’ordre de l’armée en mars 1915, de la Croix de Guerre avec palmes reçue en 1917, il sera élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur par décret du 3 janvier 1925 – étant chevalier depuis 1913 à titre civil.
Le retour à la vie civile de Jacques Balsan est marqué par son second mariage – le premier en 1903 ayant été un échec. Le 4 juillet 1921, il épouse à Londres Consuelo Vanderbilt, séparée de son premier mari. Elle est la fille d’Alva Belmont et du milliardaire William Kissam Vanderbilt, installé aux États-Unis et ayant fait fortune dans le transport des marchandises et le chemin de fer. La vie du couple – vie essentiellement mondaine – est alors partagée entre les États-Unis et la France, où l’on passe souvent les hivers dans le « château Balsan » à Èze dans les Alpes-Maritimes – et où l’on reçoit – et le reste du temps dans un hôtel particulier dans le VIIe arrondissement de Paris ou en Normandie. L’entre-deux-guerres est un temps de rencontres et de mondanités Jacques Balsan.
Le second conflit mondial surprend les Balsan à New York. En février 1942, Jacques Balsan s’engage dans les Forces aériennes françaises libres (FAFL). Il a 75 ans. De mai à décembre 1943, il est à Londres et est affecté à l’État-major sous les ordres du général Gabriel Cochet. Le colonel Balsan est ensuite muté à la mission Air aux États-Unis, affection où il termine paisiblement la guerre en août 1945. Pour cet engagement comme « Français Libre », il sera décoré en 1946 de la médaille commémorative des services volontaires dans la France Libre.
Les dernières années de vie de Jacques Balsan sont résolument américaines. Installé à New York avec son épouse, ses voyages en France se font rares. En 1952, il reçoit une ultime mais précieuse décoration, la médaille de l’Aéronautique – promotion Santos Dumont. Quatre ans plus tard, il décède le 4 novembre 1956 à New York, probablement victime d’une insolation après une partie de golf. Jacques Balsan avait 89 ans et une vie aérienne bien remplie. Il sera inhumé le 12 novembre 1956 à l’Église Saint-Philippe du Roule, dans le VIIIe arrondissement de Paris, avec les honneurs militaires.